Contre L'opinion
Je suis contre l’opinion. Selon moi la maxime en usage «Chacun peut donner son opinion» est des plus subrepticement nocives au savoir humain. Tout comme «les goûts ne se discutent pas». À partir du moment où les individus se développent en tant que tels dans une culture qui est permissive, relativement à la capacité de tous de proférer quelque avis important, quel que soit le thème au sujet duquel ils se questionnent, les gens se déresponsabilisent. A partir de là, les gens se considèrent suffisamment informés sur n’importe quel sujet, simplement pour avoir été en contact avec la moindre information concernant ce sujet, donnée par qui que ce soit, dans n’importe quel contexte.
En affirmant cela je ne nie pas la capacité à assimiler l’information de manière positive et constructive, dont sont dotés tous les êtres humains. Je ne m’engage pas non plus dans de l’élitisme académique, puisque n’importe quel autodidacte peut surpasser un académique dans quelque domaine, à partir du moment où il s’y consacre suffisamment. Je dis seulement que l’opinion, présupposant une formulation idéologique sans besoin de la justifier, participe à la survalorisation du populisme, et finit par devancer la rigueur et la valeur argumentatives, ainsi que les évidences et les faits.
Cela donne des gens incapables de dire «Je ne sais pas», et anéantit l’esprit scientifiquement curieux et le sens critique. C’est quelque chose de si beau et sain à voir chez les enfants à l’âge tendre, mais qui se perd rapidement et progressivement jusqu’à la phase adulte du développement humain, en bombardant l’individu de préjugés, normes et préceptes culturels. Parce que c’est aussi ce que prétendent ceux qui brandissent hypocritement l’étendard de la démocratie et de la liberté d’expression, dans la représentation du droit inaliénable à l’opinion : rendre l’individu réceptif à quoi que ce soit qui soit prononcé en public. Devant une opinion il n’y a pas de discussion possible, puisqu’il n’existe pas non plus de champ d’argumentation pour y répondre. Ce serait brasser de l’air.
Je ne veux pas dire par cela qu’il faut nier au gens le droit d’exprimer ce qu’ils jugent important, au regard du respect mutuel. Cela reviendrait à leur refuser le droit à la liberté d’expression. Je veux dire que la liberté d’expression sans rigueur ou méthode, est vite transformée en bruit de fond et verbiage dans l’espace public.
Et ma thèse n’a rien à voir avec la diminution intellectuelle de qui que soit, juste à un appel à l’humilité intellectuelle, à la promotion de l’esprit scientifique et critique. S’il y a quelque chose que la science («exacte» ou humaine) peut apporter à l’organisation fonctionnelle de l’intellect humain, c’est, précisément, la négation de toute vérité absolue, de tout impératif catégorique. La science mène les gens à une insatisfaction, à l’insatiabilité de se savoir en possession d’une vérité transitoire.
La science nous rapproche du progrès, du changement, de l’avenir universel, de notre curiosité naturelle. L’opinion nous guinde dans des convictions superficielles qui, portées au fil du temps, nous outragent intellectuellement.
Ricardo Lopes
(Traduction de Claire Fighiera)